Comment les mathématiques permettent-elles de classer les joueurs d’échecs ?

Introduction

Quand on joue aux échecs, on entend souvent dire qu’un joueur a «1800 Elo» ou «2500 Elo». Mais que signifient vraiment ces nombres ? Derrière ce classement mondial se cache une idée mathématique simple : transformer les résultats de parties en probabilités de victoire et les exprimer sur une échelle commune. Le système Elo repose donc sur des outils de calcul, de probabilités et de logarithmes, qui permettent de comparer équitablement les forces des joueurs, qu’ils soient débutants ou champions.

I. Origine et limites d’un classement basé sur les rapports de force

1. Le classement Elo et l’idée de «force»

Le système Elo part de l’idée que chaque joueur possède une «force», qu’on peut relier à une probabilité de victoire.

Supposons trois joueurs A, B et C, auxquels on attribue des probabilités absolues de gagner : [math]p(A) = 0{,}6[/math], [math]p(B) = 0{,}3[/math], [math]p(C) = 0{,}15[/math].

On définit alors le rapport de force entre deux joueurs comme le rapport de leurs probabilités :

X(A/B) = \dfrac{p(A)}{p(B)}.

Exemple :

X(A/B) = \dfrac{0{,}6}{0{,}3} = 2,
X(B/C) = \dfrac{0{,}3}{0{,}15} = 2,
X(A/C) = \dfrac{0{,}6}{0{,}15} = 4.

On retrouve bien la cohérence multiplicative :

X(A/C) = X(A/B) \times X(B/C).

Ensuite, on peut convertir ce rapport en probabilité de victoire relative entre A et B :

p(A,B) = \dfrac{X(A/B)}{1 + X(A/B)}.

Exemple :

p(A,B) = \dfrac{2}{1+2} = \dfrac{2}{3} \approx 0{,}67.
p(B,C) = \dfrac{2}{1+2} = \dfrac{2}{3}.
p(A,C) = \dfrac{4}{1+4} = 0{,}8.

Cela montre qu’à partir de probabilités de victoire individuelles, on peut définir des rapports de force cohérents et construire un classement global.

2. Limite d’un classement purement proportionnel

Mais ce modèle a une limite importante :

  • Les joueurs faibles ont des forces très petites, donc un changement de quelques points est difficile à interpréter.
  • Les joueurs très forts ont des forces énormes, où un petit écart peut représenter une grande différence réelle.

Exemple :

  • Passer de [math]X=1[/math] à [math]X=2[/math] double la force relative, mais cela reste un niveau très bas.
  • Passer de [math]X=1000[/math] à [math]X=1001[/math] ne change presque rien numériquement, mais peut pourtant représenter une différence sensible entre joueurs d’élite.

Problème : la comparaison n’est pas linéaire → il faut «compresser» les valeurs pour que les écarts aient toujours la même signification.

?
Changer d’échelle… cela ne vous fait pas penser à quelque chose en maths ? 🤔

II. La solution mathématique : la transformation logarithmique

1. La fonction qui linéarise les écarts

On cherche une fonction [math]f[/math] telle que :

D(A,B) = f(p(A,B)),

et

D(A,B) + D(B,C) = D(A,C).

Cette condition impose une fonction logarithmique :

f(p) = C \cdot \log_b\left(\dfrac{p}{1-p}\right).

Dans le système Elo, on choisit [math]b = 10[/math] et [math]C = 400[/math].

Ainsi, la différence de points Elo entre deux joueurs est :

D(A,B) = 400 \cdot \log_{10}\left(\dfrac{p(A,B)}{1-p(A,B)}\right).

Exemple avec nos joueurs :

On avait trouvé :

p(A,B) = \tfrac{2}{3} \approx 0{,}67.

Alors :

D(A,B) = 400 \cdot \log_{10}\left(\dfrac{0{,}67}{0{,}33}\right) \approx 400 \cdot \log_{10}(2) \approx 120.

De même :

D(B,C) \approx 120.

Donc, par additivité :

D(A,C) = D(A,B) + D(B,C) = 240,

Or,

D(A,C) = 400 \cdot \log_{10}\left(\dfrac{0{,}8}{0{,}2}\right) \approx 400 \cdot \log_{10}(4) \approx 240.

ce qui est bien cohérent.

2. Probabilité de victoire en fonction de l’écart Elo

Une fois les différences de points définies, on peut faire le chemin inverse :

p(A,B) = \dfrac{1}{1 + 10^{-D(A,B)/400}}.

Exemple : si [math]D(A,C) = 240[/math], alors :

p(A,C) = \dfrac{1}{1 + 10^{-240/400}} = \dfrac{1}{1 + 10^{-0{,}6}} \approx 0{,}8.

On retrouve bien la probabilité [math]0{,}8[/math] de la première partie.

III. Les nouveaux joueurs et la mise à jour du classement

1. Comment intégrer un nouveau joueur ?

Problème : lorsqu’un joueur débute, il n’a pas encore de classement Elo.

La solution la plus simple est de lui attribuer un score de départ, souvent autour de [math]1000[/math] points (aujourd’hui selon la FIDE ; historiquement, certaines fédérations utilisaient [math]1500[/math]).

Mais la FIDE affine ce système avec les performances initiales :

  • si un nouveau joueur bat plusieurs adversaires de 1600 Elo, on ne le laisse pas à [math]1000[/math],
  • on calcule directement son Elo initial en fonction de ses résultats, ce qui peut le placer autour de [math]\sim 1700[/math].

Avantages :

  • évite le «smurfing» : un bon joueur qui commencerait trop bas écraserait tous les débutants;
  • permet au joueur de rejoindre plus vite son niveau réel;
  • stabilise le système global en évitant de trop pénaliser les joueurs déjà classés qui perdraient contre lui.

2. Mise à jour après chaque partie (formule Elo)

Le cœur du système Elo repose sur la formule :

E = K \cdot (W - p(D)),

où :

  • [math]W[/math] est le résultat du match : [math]W = 1[/math] (victoire), [math]W = \tfrac{1}{2}[/math] (nul), [math]W = 0[/math] (défaite).
  • [math]p(D)[/math] est la probabilité théorique de victoire calculée selon l’écart Elo [math]D[/math].
  • [math]K[/math] est un facteur d’ajustement.

Exemple : un joueur à [math]1600[/math] Elo bat un joueur à [math]1800[/math] Elo.

L’écart est [math]D = -200[/math] (le joueur faible est désavantagé).

Sa probabilité théorique de victoire est :

p(D) = \dfrac{1}{1 + 10^{200/400}} \approx 0{,}24.

Comme il gagne, [math]W = 1[/math]. La mise à jour vaut donc :

E = K \cdot (1 - 0{,}24) = 0{,}76K.

Si [math]K = 20[/math], le joueur faible gagne environ [math]+15[/math] points Elo.

Inversement, le joueur à [math]1800[/math] Elo perd [math]15[/math] points.

En pratique, la FIDE fixe [math]K[/math] selon le profil du joueur :

  • [math]K = 40[/math] pour les nouveaux joueurs (moins de 30 parties),
  • [math]K = 20[/math] pour les joueurs confirmés (moins de 2400 Elo),
  • [math]K = 10[/math] pour l’élite (plus de 2400 Elo).

Ce système garantit une bonne stabilité :

  • les nouveaux joueurs montent vite vers leur vrai niveau,
  • les meilleurs joueurs ne perdent pas leur classement sur quelques parties isolées.

Conclusion

Ainsi, le classement Elo montre bien comment les mathématiques transforment des résultats de parties en une mesure objective de la force des joueurs. Grâce aux probabilités et aux logarithmes, on obtient une échelle cohérente, capable d’évaluer aussi bien les débutants que les champions.

On espère que ce sujet vous aidera, et que vous saurez l’exploiter au mieux pour briller à votre épreuve !

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